LES DEMEURES

Livre de 48 pages, août 1989, 28 centimètres sur 38 centimètres, imprimé sur papier aquarelle du Moulin du Verger, couvrure en toile de couleur bleu marine, premier plat imprimé. Texte de Martin Ziegler.

Les Demeures

Nous ne pouvons que souder ensemble beaucoup de nœuds, marier cimes et oiseaux, nous abîmant l’ouïe devant les sabliers. Aussi adossons-nous l’une à l’autre nos convictions pour mieux résister aux vents. Ce sont là notre bonheur et notre destination. Pour les chemins que notre marche efface la blancheur est un but. Mais loin de répondre au blanc de la neige, d’une poudre crayeuse ou de la cendre lunaire, c’est un blanc aussi terrifiant qu’un terme seulement présumé. Leurs environs s’y annoncent cependant sans jambage, cyprès hirsute après figuier poudré, presque ivoire et veiné de vert, mais toujours figuier et cyprès. Au lion, à peine, de chauds tremblements flouent les anis. Un lézard, de faction, y darde après mouche ou navire. Son œil gauche - quand il ne reste plus au soleil qu’à mettre un pied devant l’autre pour achever le jour - se voit, versé du ciel, briller d’un fragment d’Héraklion. L’ensellure alors doucement s’aplanit et avec un presque infime bruit de fine poussière brusquement foulée accueille la comète. Doucement alors s’agrafe, comme sur le trapèze la main, la nuit entre rive et crête.

Demain a quitté hier. La dernière lueur, happée par la terre, les étoiles s’éteignant dans la robes des renards, toute pâleur - chemins et roches, parfois une assemblée de buis - s’enfouissant dans le noir. Les renards bouleversés, fléchissants. Le tout sans grésillement, sans qu’aucun souffle d’air ne répande une odeur de pierre frottée ou de pelage roussi. Le ciel, semble-t-il, happé, la terre buvant le ciel. Un renard, tel un gris nuage micacé.

Disséminés parmi les champs et versés à la mer, telle partie de nous - froide pierre jadis aux angles vifs - devint galet, telle autre s’offrant à la faux. L’union était levée et le secret, finalement asséché, ne secrétait plus ses injonctions de vif-argent.

Bien plus tard, assis devant le dehors, derrière un feu d’herbes et de brindilles, nous crûmes vous voir, hissée de l’eau sur une vague faible qui plus qu’elle ne frappe frotte la grève, issant sur un banc écumeux juste à fleur d’eau après l’écume, dispersée, sitôt, avec les myriades de cristallines bluettes attirées par le reflux. Nous crûmes vous voir dans le tranchant des sentiers jusqu’à la lisière des nuages, autour des iris et dans la cime des montagnes, dans toutes les chambres vides, dans la chaux des champs et des murs, oui, jusque dans les gouttières de nos livres, dans ce qui jointe les murmures, dans l’aire entre deux chênes, dans l’intermittence des averses, dans la question d’un enfant sur le bras de la mer.

Mais trop voir étale espoir et désir. Étale - la parole qui négocie le feint plaisir.

Réveil clair et fruits frais dans la chambre. Et puis nous fuyons, désertant l’air épais, puanteur faite de chaleur trop précoce et de sang de mouton, de chaux vive, de laisses et de poussières, délicieuse puanteur à regret délaissée pour l’air fade du désert. Une demeure très vaste à toit de liserons nous transit.

Martin Ziegler ©

[texte imprimé dans ce livre]

28 exemplaires numérotés, signés par Jean-Claude Mattrat et Martin Ziegler.